lundi 11 juin 2007

Sauver Artaud de la Cruauté

Parler de cruauté, au théâtre, c’est parler d’Artaud. En toutes circonstances, c’est Artaud. La cruauté, c’est lui. C’est son truc. Le terme « cruauté » figure dans un ouvrage ? C’est qu’il s’inspire d’Artaud. Le texte a été écrit avant la naissance d’Artaud ? Et bien il le préfigure ! Mais Artaud, c’est ça : c’est la cruauté. La cruauté, c’est lui.
Je n'en pouvais plus de trouver Artaud et la Cruauté systématiquement enlacés dans mes lectures théâtreuses. Alors je suis allé voir l'origine du Mal:

Le théâtre et son double (Folio Essais)



P128 : Je propose donc un théâtre où des images physiques violentes broient
et hypnotisent la sensibilité du spectateur pris dans le théâtre comme dans un tourbillon de forces supérieures.

Un théâtre qui abandonnant la psychologie raconte l’extraordinaire, mette en scène des conflits naturels, des forces naturelles et subtiles, et qui se présente d’abord comme une force exceptionnelle de dérivation. Un théâtre qui produise des transes, comme les danses de Derviches et d’Aïssaouas produisent des transes, et qui s’adresse à l’organisme avec des moyens précis, et avec les mêmes moyens que les musiques de guérison de certaines peuplades que nous admirons dans les disques mais que nous sommes incapables de faire naître parmi nous.
Il y a là un risque, mais j’estime que dans les circonstances actuelles il vaut la peine d’être couru. Je ne crois pas que nous arrivions à raviver l’état de choses où nous vivons et je ne crois pas qu’il vaille quelque chose pour sortir du marasme, au lieu de continuer à gémir sur ce marasme et sur l’ennui, l’inertie et la sottise de tout.

D'abord, la deuxième partie de la citation d'Artaud nuance la force de cette notion de cruauté. Le fond du projet semble plutôt être un "théâtre qui raconte l'extraordinaire" en abandonnant le schéma discursif. Exhiber de la cruauté n'est que son moyen de choix pour cela et je dirais qu'en ça, Artaud a manqué d'imagination. Je ne crois pas à cette thérapie. D'ailleurs Artaud lui-même dit qu'il y'a un risque et semble affirmer que ce n'est qu'une solution temporaire, un électochoc pour ranimer le théâtre moribond. Ensuite, penser que les insuffisances du théâtre et de ses praticiens doivent être palliées par un choc administré au public me paraît curieux…

Heureusement, Artaud, c’est plus que cela. Sa langue a produit des fulgurances qui rappellent que l’art aussi doit justifier de son existence. Héritage bien plus précieux me semble-t-il.


P11 : Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim.


P19 : Aussi bien, quand nous prononçons le mot de vie, faut-il entendre qu’il ne s’agit pas de la vie reconnue par le dehors des faits, mais de cette sorte de fragile et remuant foyer auquel ne touchent pas les formes. Et s’il est encore quelque chose d’infernal et de véritablement maudit dans ce temps, c’est de s’attarder artistiquement sur des formes, au lieu d’être comme des suppliciés que l’on brûle et qui font des signes sur leurs bûchers

P.S: Grotowski a un court essai remarquable sur Artaud dans Vers un Théâtre Pauvre (l'Age d'Homme)

2 commentaires:

mom a dit…

Il me semble surtout qu'Arthaud avait compris qu'il n'y a pas de théâtre sans catharsis, sinon on s'emm...

théâtroll a dit…

Je ne crois pas qu'Artaud approuverait ce terme de Catharsis. La Catharsis suppose une purification morale de telle sorte à ce que le public se lave de l'hubris qui sommeille en lui. Dans une lecture marxiste, Augusto Boal condamne ainsi la catharsis comme un opium du peuple de plus, une ruse des puissants pour faire vivre au prolétariat sa révolution par procuration.
L'ambition d'Artaud est différente de celle de Boal mais lui aussi souhaite éveiller les consciences et même les secouer. La cruauté, n'est, pour lui, qu'une étape vers un théâtre nouveau -à définir. La catharsis, d'essence conservatrice et fondée sur une morale partagée, ne rentre pas dans ce cadre d'un théâtre en refondation.